Ravito dominical à Peyrieu la providentielle

Mars 2024

Entre Groslée et Belley, le Rhône gigote dans le couloir qu’il s’est creusé entre les basses chaînes de montagnes entre Ain et Savoie, le fleuve contourne par le sud le Grand Thur et le Mont Géla en un tissu de cours, d’affluents, de dérivations et de petits lacs. Le parcours de la Via Rhôna se fraie un chemin dans cet entrelacs aqueux, sinue, évite, ondule, surmonte par un pont ou l’autre, à tel point que la progression du cycliste est lente, parfois joliment poussive. Le cadre est superbe et on s’accommode du rythme pépère imposé par la configuration des éléments.

Mais à l’approche de l’heure du déjeuner, à la hauteur de Murs, une impatience nous gagne. Allait-on parvenir à ce rythme à rejoindre Belley avant la fermeture des commerces et des points de ravitaillement, un dimanche à midi, une journée pluvieuse? Il semble soudain indiqué de ne pas rater la dernière boulangerie encore ouverte pour le midi, et une envie prend le dessus de rejoindre Belley un peu plus rapidement. Histoire de dérouler les kilomètres jusqu’à l’objectif du jour, nous décidons alors de couper au plus court, par la D992, rive droite, tandis que la Via Rhôna poursuit sa bonne dame de chemin sur l’autre rive du fleuve, loin du trafic routier.

Peur d’arriver trop tard à Belley? Il était dit que nous n’arriverions pas dans la paisible sous-préfecture dans les temps. En effet, quelques kilomètres après s’être lancés sur la D992, nous tombons à Peyrieu sur l’incontournable Bar Hôtel Restaurant de la Poste. Une île pour les naufragés, un appât pour le cycliste affamé. Le bâtiment est modeste, une enseigne rouge alerte le voyageur comme une balise, une terrasse de poche à deux tables promet des apéritifs paisibles. Tandis que, abandonnant inconsciemment tout autre objectif, nous parquons les bicyclettes, une ombre surgit derrière la fenêtre du bar, on nous observe à la dérobée. Nous sommes repérés.

Dans le bar, deux habitués éclusent des pastis, nous nous installons près d’un poêle ancestral, les tables et les chaises sont patinées, les nappes brodées. La perspective d’un café nous enchante, alors si en plus il est possible de manger le midi, la joie nous étouffe à l’idée de satisfaire un appétit bien aiguisé après les kilomètres de la matinée dans les frimas d’un début de mois de mars encore hivernal.

On peut parler ici d’un accueil chaleureux, d’un cadre à l’ancienne immuable, le mobilier, la vaisselle, la déco affichent le lustre que seul le temps a pu créer. Ici on aime le foot, une photo de l’équipe héroïque de Saint-Etienne domine la petite salle, la tignasse rousse de Robert Herbin et les longs cheveux de ses joueurs donnent le ton de l’époque à laquelle le temps s’est suspendu, pour mieux profiter d’une intemporalité éternelle et bienfaisante.

On déguste une assiette de crudités, un boeuf bourguignon ou des diots, avec un pichet de rouge, puis un vacherin glacé pour le dessert.

Le Rhône et ses caprices qui font pédaler plus que nécessaire et ouvrent l’appétit, l’accueil providentiel d’une aubergiste altruiste, le calme d’un joli village paisible qui contribue à la beauté et à l’attrait de la France: merci, nous sommes comblés, et prêts et repartir sur les routes.