Naples – Mbip-Mbip

La ferveur s’est emparée de la ville. Les drapeaux et bannières bleu ciel-blanc décorent tous les balcons, les enseignes de magasins, les entrées des bars, des pizzeria et des trattoria. Le Napoli reçoit cet après-midi en son stade, autrefois San Paolo. La défaite humiliante est garantie pour les visiteurs, face à un adversaire déterminé, littéralement habité et placé sous la protection de Maradona, dont les photographies, portraits et fresques illuminent la ville. On parle évidemment de football.

Le calcio, omniprésent. Qui n’a pas son maillot du Napoli ou celui de l’Argentine ?

Quelques très rares cyclistes peut-être. Car Naples présente tous les atouts d’une ville hostile aux vélos : un trafic de malades constitués de cinglés de la conduite à tombeau ouvert ; des rues dallées, splendides, anciennes, mais dont le revêtement, constitué harmonieusement de vastes dalles de pierre noire, est poli par les années et le passage successif de milliers de véhicules au fil des décennies, rendu ainsi glissant comme une patinoire; des ruelles en pente raide et elles aussi recouvertes de superbes pavés, plus petits, qui appellent au ride ambitieux, genre Parigi-Roubaix en montée. Trop ambitieux?

L’envie de rouler bien vite atténuée sous la pression de motorini déchaînés, ivres de klaxons et prêts à tout pour finir en pièces détachées au bas de la pente. Le cycliste est ébloui par le cadre napolitain, mais se sent un peu seul.

Et soudain, une piste cyclable, bien séparée de la route principale par un petit muret de 10 cm de hauteur, peinte en ocre du plus bel effet avec, peint en blanc tous les 100 mètres, un profil schématisé de bicyclette, et qui suit sans trop de facéties le bord de la route. Une lueur d’espoir ? Un peu de répit pour le cycliste fatigué de regarder devant, à droite, à gauche et derrière lui simultanément, conscient qu’il est ici au moins aussi dangereux de passer au vert qu’au rouge, et asphyxié par les gaz de moteurs trafiqués à l’Apérol Spritz ?

Lueur de courte durée, le temps de constater que, si les secteurs pavés sont légion à Naples, véritable curiosité en fait, à la portée historique, les secteurs au verre pilé sont nombreux aussi, mais concentrés étonnamment sur les pistes cyclables. À quelle difficulté se frotter ? Quel mal privilégier ? Faut-il rester dans le trafic ou emporter avec soi, en expédition vélo, cinq chambres à air de rechange ?

Un exception notoire est incarnée par la ciclabile large comme la piste d’un circuit de formule 1 qui, sur grosso modo 1 kilomètre, suit le littoral du centre ville, d’un hôtel chic à l’autre, pour une parade en bord de mer, éphémère et sans avant ni après.

Très vite pourtant on se prend au jeu de la voltige à la Sagan dans les rues de Naples, on peut si l’on veut allumer un cierge ou s’en remettre à Diego avant de se mettre en route, puis on part à la recherche d’une perspective fabuleuse ou d’un gelato rafraîchissant. À chaque nouvelle sortie, on prend un peu mieux ses marques, on s’adapte au rythme, on évolue à peine rassuré, aussi par la bienveillance de la plupart des automobilistes qui accueillent aimablement les extraterrestres du bitume que semblent être ici les cyclistes.